Indexation des salaires

La question de l'indexation des salaires en Belgique provoque bien des débats. Certains soutenant qu'elle nuit à la compétitivité belge et d'autres qu'elle est partie intégrante de paysage belge et que sa disparition causerait plus de troubles que de bénéfices.

La première remarque à faire est que la spécificité belge n'est pas l'indexation des salaires proprement dite mais son indexation automatique et réglementée. Partout les salaires augmentent plus ou moins avec l'inflation, les grandes questions sont: "Quand?" et "Comment?"

Pour le "Quand?", les salaires sont-ils augmentés avant – une protection –, avec – une indexation automatique – ou après – un rattrapage – l'inflation. Pour la Belgique, la réponse aujourd'hui est simple et nous était déjà donnée par le grand Jacques: "avec". Pour le reste du monde (qui n'utilise pas l'indexation automatique), la réponse est plus vague et est: "Cela dépend"! Ce qui est certain c'est qu'il y a une augmentation globale des salaires avec les prix. C'est presque la définition de l'inflation; l'inflation c'est le changement de coût nominal d'un panier fixe de biens. Une personne qui offre une quantité constante de biens ou services à la société recevra en échange une quantité constante de biens ou services, c'est-à-dire un revenu indexé. Il n'y a pas de doute que l'indexation a lieu.

Pour le "Comment?", les salaires changent-ils après des négociations individuelles, des négociations collectives ou lors du changement d'employeur – ou toute combinaison des trois?

Les employés (ou indépendants) qui ont la chance d'avoir des connaissances et des compétences qui intéressent les employeurs et qui ne semblent pas devenir obsolètes, peuvent, jusqu'à un certain point, décider de leur salaire. Pour eux, la réponse au "Quand?" est sans doute "avant" et le "Comment?" est par négociation individuelle. Le salaire reflète le coût de la vie aujourd'hui et l'augmentation prévue jusqu'à la prochaine discussion sérieuse de salaire (disons deux ans). Personne ne veut rentrer dans un cercle de discussions permanentes, une pour chaque saison. Pour ce type d'employés, la non-indexation automatique a comme effet un paiement de l'inflation par l'employeur avant qu'elle n'ait lieu et une nouvelle négociation individuelle du salaire après quelques années.

Pour la plupart des employés, si l'indexation automatique disparaissait, les "rattrapages" se feraient par des discussions collectives annuelles ou bi-annuelles. L'effet général ne serait pas très différent de l'indexation automatique que nous connaissons, les discussions en plus.

Ce que l'absence d'indexation automatique des salaires permet, c'est une flexibilité (en termes réels, pas nominaux) des salaires. Si une activité ou une profession est moins productive pour la société, en n'indexant pas les salaires dans ce domaine, on incite les employés à changer de domaine. L'absence d'indexation automatique des salaires peut être vue comme similaire aux bonus distribués pour certaines fonctions. Le bonus n'est pas un salaire supplémentaire – je ne parle pas ici des abus et fraudes que nous avons connus – , c'est un salaire faisant partie intégrante de la compensation mais qui peut être retiré, par exemple en cas de mauvaise conjecture ou si l'activité en question est moins intéressante. Le centre de la question sur l'indexation me semble être, faut-il imposer à tous et chaque année une négociation dont le résultat général est connu à l'avance à peu de chose près – augmentation du salaire en ligne avec l’inflation – pour résoudre les déséquilibres qui existent pour une minorité de domaines et cela peu fréquemment? Le plus simple n'est-il pas d'avoir une indexation automatique pour tous et la possibilité quand la situation le nécessite d'avoir une négociation pour certains travailleurs à certains moments?

En tant qu'employé et gestionnaire, mon choix est assez vite fait; je suis pour une indexation automatique, tout en introduisant plus de flexibilité et certains changements. Cette indexation ne devrait pas concerner l'entièreté du salaire, mais jusqu'à un plafond – lui-même indexé. Le salaire au-delà d'un certain niveau correspond à des compétences pointues et spécifiques et celui-ci doit de toute façon être revu régulièrement – à la baisse ou à la hausse.

Un effet souvent décrié de l'indexation automatique est de créer un "effet boule de neige"; l'inflation augmente les salaires qui augmentent l'inflation. Il y a un peu de vrai dans cette affirmation mais beaucoup de sous-entendus incorrects. L'effet boule de neige est infini dans le temps mais pas dans les valeurs. Le facteur multiplicatif de l'index entraîne que les prix forment une série géométrique, donc finie – même si l'effet total n'apparaît qu'après un temps infini. Prenons l'exemple d'un objet dont le coût relatif est 50% en matières premières et 50% en salaire. Si les matières premières augmentent de 20%, le coût relatif de l'objet passe de 1 à 1,1 – 10% d'augmentation. Après une certaine période, l'inflation est reportée sur les salaires qui augmentent de 10% et le coût passe à 1.15. L'effet continue et après deux périodes le coût est de 1.175 et il continue d'augmenter. Après un temps infini – si on vit jusque là –, le coût de l'objet atteint 1.20 avec 0.60 – 50% – en matière première et 0.60 – 50% – en salaire, exactement comme au début! Est-ce là l'effet "dévastateur" que les détracteurs du système mettent en avant: après un temps infini, les coûts relatifs des matières premières et des salaires sont les mêmes qu'au début et l'augmentation du prix des matières premières est incorporée dans les biens. Cela ressemble plus à de la neige fondante qu'à une avalanche! De plus, si le prix des matières premières diminuent par après pour revenir au prix de départ, les salaires reviennent aussi au niveau de départ – sauf si un cliquet de type “floor” est mis en place.

Les salaires à Bruxelles ne sont en général pas plus élevés qu'au Luxembourg, Paris, Londres ou Francfort, les capitales économiques autour de Bruxelles. Il ne semble pas que l'indexation automatique des salaires ait créé une augmentation générale et incontrôlée des salaires belges. Si "Les salaires des travailleurs belges ont à nouveau augmenté davantage que dans les pays voisins" (comme on peut le lire régulièrement), c'est peut-être simplement parce qu'ils sont plus bas.

Les journaux ont rapporté que les organisations patronales et la Banque nationale de Belgique (BNB) considéraient l'indexation automatique des salaires comme une "aberration". Je n'ai trouvé sur le site de la BNB (www.nbb.be) aucun document avec une analyse de cette approche, ni une description de cette "aberration" (peut-être qu'un tel document existe et est caché quelque part). Si une discussion devait avoir lieu, il serait intéressant d'avoir de tels documents. Il ne suffit pas de regarder les choses à court terme ou à travers des slogans; il faut une analyse à long terme et les effets indirects doivent aussi être pris en compte. L'analyse des équilibres possibles ne suffit pas, la dynamique à partir de la situation actuelle doit aussi être étudiée. Ce blog ne prétend en aucun cas contenir de telles analyses; il présente quelques idées pour la réflexion.

On peut aussi remarquer que les fonctionnaires européens et ceux de la Banque des Règlements Internationaux (banque des banques centrales - BRI/BIS) bénéficient de l'indexation automatique des salaires. De plus, dans le cas de la BRI les salaires sont ajustés tous les trois ans pour être en ligne avec la "moitié supérieure" des salaires de fonctions comparables [1]. Comme tout le monde ne peut être dans la moitié supérieure, cette méthode créerait un vrai effet boule de neige si elle était appliquée par tous. La BNB étant un actionnaire historique de la BRI, libre à elle de proposer la non-indexation automatique des salaires pour les fonctionnaires de la BRI et de nous rapporter les résultats de l'expérience dans quelques années.

En résumé, ma proposition serait: indexation automatique des salaires et plus de flexibilité par négociations.

[1] Source: 81st Annual Report of the BIS, Bank remuneration policy, p.138.

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